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LES CODES DU FILM

I. GĂ©nĂ©ralitĂ©s

II. Codes non spĂ©cifiques

A) 

CODES PERCEPTIFS

B) 

IDENTIFICATION DES OBJETS VISUELS ET SONORES

C) 

LE CODE DU RECIT

III. Codes spĂ©cifiques

A) REMARQUES LIMINAIRES B) LE MONTAGE C) LES PLANS CINEMATOGRAPHIQUES D) LES ANGLES DE PRISE DE VUE E) CHAMP / CONTRE-CHAMP / HORS-CHAMP F) EFFETS OPTIQUES

I. GENERALITES

La comprĂ©hension correcte d’un film suppose la connaissance de ces cinq langages. Cependant, il faut aussi connaĂ®tre plusieurs autres codes extra-cinĂ©matographiques. En effet, le cinĂ©ma n’est pas une nouvelle langue, originale, avec des moyens propres: les films sont des rĂ©seaux structurĂ©s par une multitude de codes et une partie seulement de ces codes est proprement cinĂ©matographique. On constate la souplesse du cinĂ©ma: il peut tout dire, il est très ouvert: ouvert aux modes diverses, aux symboles, aux courants culturels et idĂ©ologiques, aux influences artistiques extĂ©rieures. Le cinĂ©ma importe ainsi des signifiĂ©s qu’il emprunte Ă  d’autres langages comme la littĂ©rature, le théâtre, le gestus social, les modes vestimentaires… Celui qui veut analyser un film doit d’abord dĂ©monter l’importance de ces morceaux Ă©trangers et, ensuite, se dĂ©gager de ces interfĂ©rences codiques; en effet, on ne peut tout Ă©tudier Ă  fond, ĂŞtre un spĂ©cialiste universel, ĂŞtre historien, sociologue, esthĂ©ticien. Le sĂ©miologue du cinĂ©ma se limitera Ă  un domaine de recherche; il a deux possibilitĂ©s de travail : – le langage cinĂ©matographique, le total des traits qui sont supposĂ©s ĂŞtre dans les films caractĂ©ristiques du langage filmique, – le message total, complexe de chaque film particulier (analyse textuelle d’une oeuvre).

II. QUELQUES CODES NON SPECIFIQUES

Parmi les plus importants et les plus opĂ©ratoires, relevons: A) CODES PERCEPTIFS Il faut prendre conscience du caractère psychologique et social de la perspective: ce n’est pas une rĂ©alitĂ© de la nature, mais un phĂ©nomène culturel, issu de la Renaissance. Le cinĂ©ma a repris Ă  son compte la vision monoculaire et ses principes.Ainsi, les figures sont Ă©tagĂ©es dans la profondeur; cet Ă©tagement est rĂ©glĂ© par leur grandeur respective: la plus petite est la plus Ă©loignĂ©e, la scène s’ordonnant en fonction de la place assignĂ©e Ă  un individu. L’espace au cinĂ©ma se dĂ©finit aussi par rapport au cadre, c’est en fonction de lui que s’opère la distribution des Ă©lĂ©ments, des personnages. En effet, l’image est fortement composĂ©e dans le cadre, comme en peinture. Les masses, les volumes, les lignes sont organisĂ©es Ă  l’intĂ©rieur du plan (axes verticaux, horizontaux…). La structuration de l’espace se fait Ă  partir des lois de la perspective et des exigences de la dĂ©limitation par des cadres, en reprenant l’hĂ©ritage de la peinture, de la photographie. Mais on notera aussi que l’espace s’organise aussi dans le montage : en effet, le film prĂ©sente l’espace, le constitue plan après plan ; l’espace se compose ainsi sur un axe syntaxique et le spectateur articule les diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, reconstitue le rĂ©fĂ©rent fictionnel. (Note : plan ici dĂ©signe un segment de pellicule impressionnĂ©e entre l’ordre de dĂ©part de la camĂ©ra «Moteur» et l’ordre d’arrĂŞt «Coupez», c’est donc l’unitĂ© de base du tournage du film.) Ainsi, l’Ă©tablissement Ă©ponyme dans HĂ´tel du Nord de Marcel CarnĂ© est prĂ©sentĂ©, après l’Ă©vocation du contexte du quartier, par une vue de la façade, un plan d’ensemble du rez-de-chaussĂ©e (Note : plan ici renvoie Ă  un type de cadrage), une vue intĂ©rieure de la salle, une plongĂ©e sur l’escalier d’accès Ă  l’Ă©tage, une vue sur le couloir, une vue exploratrice sur l’intĂ©rieur d’une chambre, un plan rapprochĂ© de la fenĂŞtre, cadrĂ©e de l’extĂ©rieur, et la vue sur l’extĂ©rieur que l’on a depuis cette fenĂŞtre. L’espace ainsi constituĂ© servira en quelque manière Ă  une sorte de huis clos. Voir une sĂ©rie d’images sur l’espace dans ce film. L’espace peut aussi se construire Ă  travers le regard d’une instance narrative ou celui d’un personnage qui le balaie ou l’explore : ainsi, au dĂ©but de FenĂŞtre sur cour d’A. Hitchcock, Ă  partir d’une fenĂŞtre. L’espace filmique est donc constituĂ© sur un double niveau :

– celui de l’Ă©cran, – celui de la structure du film.

Le passage du noir et blanc Ă  la couleur a Ă©tĂ© important. On remarquera qu’il y a plusieurs systèmes de couleurs comme il existe diffĂ©rents formats, tailles d’Ă©crans. On voit nettement le cĂ´tĂ© artificiel du noir et blanc ; si la couleur est sentie comme plus naturelle, plus rĂ©elle par des spectateurs naĂŻfs, on ne doit pas oublier qu’elle ne donne que des Ă©quivalences des vraies couleurs; selon les systèmes, il y a des nuances. Consulter une fiche sur les formats et couleurs. Le noir et blanc est encore utilisĂ© pour ses effets esthĂ©tiques, très codĂ©s, il Ă©voque, en effet, certains genres. On pensera Ă  son utilisation par Mel Brooks dans sa parodie du fantastique d’Ă©pouvante, Frankenstein Junior, ou encore Ă  Woodie Allen dans certains passages de La rose pourpre du Caire. Parfois, dans un film tournĂ© en couleurs, une ou plusieurs sĂ©quences en noir et blanc sont insĂ©rĂ©es ; cela amène un dĂ©calage : il s’agit de signifier, par exemple, qu’il s’agit d’une autre Ă©poque, antĂ©rieure, d’un rĂŞve… On identifie ainsi au procĂ©dĂ© des archives, la logique d’une rĂ©trospection comme dans JFK d’Oliver Stone. Cf. aussi les sĂ©quences dans l’asile pour Mementode Cristopher Nolan. Les effets recherchĂ©s peuvent ĂŞtre autres : voir Kill Bill de Quentin Tarantino… B) IDENTIFICATION DES OBJETS VISUELS ET SONORES Le dĂ©codage pertinent des objets apparus Ă  l’Ă©cran requiert des connaissances culturelles, civilisationnelles. Par exemple, les vĂŞtements sont des signes du niveau social, professionnel. Ils peuvent dĂ©signer une Ă©poque historique comme dans les films “en costumes”, avec un effet de couleur locale, spatio-temporelle. Il faut donc maĂ®triser des codes sociaux ou historiques extra-cinĂ©matographiques pour les entendre : des connaissances encyclopĂ©diques, culturelles sont nĂ©cessaires pour dĂ©coder.. Ainsi, un coup d’avertisseur signifie « voiture », mĂŞme si on ne voit pas le vĂ©hicule Ă  l’image. La rumeur de la circulation dĂ©signe ainsi une grande ville moderne… Le cinĂ©ma peut importer tous les symbolismes attachĂ©s Ă  des objets dans le cadre d’une sociĂ©tĂ©. Cf. le petit livre rouge de Mao dans la Chinoise de Godard, Ă  la fois arme et dĂ©fense. C) LE CODE DU RECIT On peut appliquer aux films le mĂŞme type d’analyse narratologique qu’aux textes littĂ©raires. Les instruments issus des travaux de V. Propp, de Cl. BrĂ©mond, des structuralistes etc. sont pertinents, car le cinĂ©ma a importĂ© ses codes narratifs pour l’essentiel. Les concepts de points de vue, de focalisation, de temps de l’histoire et du rĂ©cit, de syntaxe des sĂ©quences narratives… sont directement rĂ©utilisables.

Ainsi, cette neige tombant dans la rĂ©sidence de Kane, Ă  l’intĂ©rieur de la chambre, est «subjective». Ce n’est assurĂ©ment pas la vision du narrateur mais celle du personnage : cela prĂ©suppose une focalisation interne.  In Citizen Kane d’O. Welles.

Sans l’aide d’un magnĂ©toscope, minimum minimorum, d’une platine DVD ou d’un ordinateur multimĂ©dia, il faut souligner la difficultĂ© de l’Ă©tude syntaxique d’un film ou de l’analyse prĂ©cise des images. Les conditions de la vision diffèrent de la lecture d’un texte littĂ©raire et quand un film n’est pas Ă  disposition, on ne peut pas facilement procĂ©der Ă  des relectures partielles ou totales, pourtant nĂ©cessaires. D’autre part, seul un arrĂŞt sur image permet d’observer de près le dĂ©cor dans une oeuvre, l’arrière-plan ou d’Ă©tudier la composition du cadre, les effets de lumière… Avant les temps du scope, les retours en arrière comparatifs n’Ă©taient pas aisĂ©s et le spectateur Ă©tait pris dans le dĂ©roulement mĂ©canique de la projection ; l’analyse Ă©tait gĂŞnĂ©e par les contraintes du temps filmique (1h 30…). Depuis que l’on dispose aisĂ©ment d’un magnĂ©toscope, plus accessible qu’une visionneuse, les conditions de rĂ©ception pour analyse ont bien changĂ© ; il faut cependant garder Ă  l’esprit que le spectateur ordinaire dans une salle de cinĂ©ma ne peut pas dĂ©cortiquer un film lors de sa consommation / rĂ©ception. Cela a certes dĂ©jĂ  un impact sur la perception des effets spĂ©ciaux, des trucages comme de certains plans très brefs aux limites du perceptible : depuis le NapolĂ©on d’Abel Gance jusqu’àMatrix, l’analyse dĂ©gage l’existence de plans de l’ordre de quelques photogrammes, d’une durĂ©e voisine de la seconde. La critique a souvent constatĂ© autrefois que le texte filmique ne pouvait ĂŞtre traitĂ© comme une oeuvre littĂ©raire Ă©crite, donc Ă  disposition. On peut imaginer combien la possibilitĂ© de revoir ad libitum un film sur un scope a transformĂ© et amĂ©liorĂ© le travail d’observation nĂ©cessaire Ă  une analyse sĂ©rieuse, raisonnĂ©e. L’arrivĂ©e des lecteurs de DVD a encore enrichi les possibilitĂ©s du regard et de la rĂ©flexion critiques. Pour mener Ă  bien une analyse filmologique, il faut sans doute d’abord regarder le film dans sa continuitĂ© au moins deux fois ; il convient de prendre des notes et d’avoir recours ensuite au magnĂ©toscope ou mieux au lecteur de DVD comme outil d’analyse. Le DVD possède alors des avantages incontournables : il permet des retours en arrière faciles, et par lĂ  la confrontation de passages ; il facilite l’arrĂŞt sur image puis la reprise instantanĂ©e de la lecture ; il offre le ralenti ou la lecture accĂ©lĂ©rĂ©e qui aide Ă  la recherche de plans ; l’usage du chapitrage permet enfin des lectures sĂ©lectives… Sur un plan linguistique, pour un film Ă©tranger, on peut choisir la bande son d’origine (VO relayĂ©e ou non Ă  la demande de sous-titres) ou la version française. L’usage d’un ordinateur avec un moniteur de grande dimension donne encore plus d’efficacitĂ© en termes de production pour une analyse, car on peut ainsi basculer instantanĂ©ment des images filmiques Ă  un traitement de texte pour prendre des notes, rĂ©diger un brouillon d’analyse ou encore passer dans un navigateur Web pour chercher des informations sur l’Internet. On peut Ă©galement faire des captures d’Ă©cran et isoler des photogrammes permettant de construire et illustrer un dĂ©coupage de sĂ©quence en plans… La possibilitĂ© de placer des signets personnels est aussi très intĂ©ressante dans la phase d’analyse et de repĂ©rage ; la plupart des logiciels lecteurs de DVD permettent ainsi de repĂ©rer instantanĂ©ment une sĂ©quence, un plan et d’y accĂ©der ensuite d’un simple clic de souris.

On remarquera qu’au cinĂ©ma, sur un plan quantitatif, la fiction narrative prĂ©domine. Très vite, le cinĂ©ma, avec Georges MĂ©liès en 1896, a adoptĂ© la narrativitĂ© et les codes du rĂ©cit. A ses origines, les frères Lumière, en 1895, le concevaient plutĂ´t comme un moyen d’archiver des informations, de pratiquer le journalisme, de constituer des documents divers, voire comme un auxiliaire pĂ©dagogique. Peu de Vues Lumière, plans fixes de moins d’une minute, tournĂ©s souvent en lumière extĂ©rieure naturelle, relèvent ainsi du narratif et / ou de la fiction pure comme « l’Arroseur arrosĂ© », un des premiers gags cinĂ©matographiques. Souvent, elles nous semblent proposer des vues documentaires, des actualitĂ©s, des souvenirs personnels, l’esquisse d’une forme de publicitĂ©… On se gardera toutefois de croire Ă  l’aspect authentiquement , naĂŻvement “documentaire” de certaines vues ; ainsi mĂŞme «la sortie des usines Lumière» n’a rien de vraiment spontanĂ©.
Georges MĂ©liès, quant Ă  lui, est vite passĂ© du filmage d’un spectacle de music-hall ou d’un gag reposant sur l’exploitation de la technique cinĂ©matographique, cf. Un homme de tĂŞtes en 1898, Ă  une Ă©criture narrative, crĂ©ative comme dans le Voyage dans la lune en 1902.  Aujourd’hui, le cinĂ©ma est bien la première machine Ă  raconter des histoires ; les genres non narratifs, non fictifs sont marginaux.

Le cinĂ©ma a rencontrĂ© la nĂ©cessitĂ© de se constituer une rhĂ©torique, un système narratif avant de devenir une machine efficace pour narrer. Les premiers films narratifs ont empruntĂ© leurs rĂ©cits Ă  des images immobiles (B.D., reproductions de journaux Ă  sensation), Ă  des thèmes de chansons populaires, Ă  des romans et des pièces Ă  quatre sous. Dès le dĂ©part, le cinĂ©ma a Ă©tĂ© populaire et a touchĂ© un grand public, au grand dam de certains intellectuels. Les premières oeuvres furent brèves (historiettes), puis elles s’allongèrent sur le modèle du théâtre mĂ©lodramatique ; au dĂ©part on avait en quelque sorte du théâtre filmĂ©, souvent frontalement — mĂŞme si les Vues Lumière avaient adoptĂ© frĂ©quemment un angle oblique— la scène Ă©tant souvent cadrĂ©e dans un plan d’ensemble ; une esthĂ©tique du tableau, au sens du terme au théâtre ou au music-hall, domina ainsi Ă  la suite de G. MĂ©liès, de Ferdinand Zecca etc. mais l’Ă©volution et la sĂ©paration furent rapides. Par la suite, les romans classiques du XIX ème constituèrent une source fertile d’inspiration. Les coursespoursuites, souvent burlesques, amenèrent Ă  inventer : les personnages traversant un espace complexe, les lieux devaient se succĂ©der, s’enchaĂ®ner et les plans pouvaient alterner entre le(s) chasseur(s) et le(s) personnage(s) poursuivi(s), cela donnant un effet de rythme. Cf. “La course des sergents de ville” de F. Zecca en 1907, premier exemple historique du genre. Pour obtenir la crĂ©dibilitĂ© romanesque, le film a dĂ» aussi montrer de près, d’oĂą la constitution de procĂ©dĂ©s spĂ©cifiques, en liaison Ă©troite avec les possibilitĂ© et conditions techniques. Par exemple, en France, c’est Abel Gance, après Griffith, qui utilisa pour la première fois les gros plans sur des visages ; son producteur le crut fou.

C.T. Dreyer dans sa Passion de Jeanne d’Arc, en 1928, utilisa systĂ©matiquement ces gros plans expressifs.  F.W. Murnau utilisa pour sa part la camĂ©ra mobile dans Le Dernier des Hommes, en 1924.
Jeanne (Falconetti) vue par DreyerIdem Dreyer.
Pendant longtemps le manque de souplesse, l’impossibilitĂ© de changer d’angle, de grosseur de plan ont Ă©tĂ© des obstacles; parallèlement aux moyens techniques, la rhĂ©torique s’est aussi perfectionnĂ©e et le public s’est habituĂ©.
Citizen Kane.Idem Citizen Kane.

Ascenseur en mouvement et changement d’angles de vue dans Le Dernier des Hommes.

F.-W. Murnau dans son film de 1924 (Der Letzte Mann) utilise ainsi une camĂ©ra mobile; dans les premiers plans de l’oeuvre, nous dĂ©couvrons le contexte avec une camĂ©ra placĂ©e dans l’ascenseur de l’hĂ´tel ; elle explore ensuite le hall du palace dans un travelling avantpour arriver sur le portier Ă  l’entrĂ©e. Le procĂ©dĂ© va s’imposer et gagner rapidement Hollywood. Ce film innova beaucoup et se caractĂ©risa encore par un refus significatif des intertitres ou cartons, la narration filmique devenant essentiellement visuelle, et non plus scripto-visuelle. DĂ©jĂ , en 1896, un opĂ©rateur des frères Lumière, Alexandre Promio, avait eu l’idĂ©e de placer une camĂ©ra dans une gondole Ă  Venise ; mĂŞme si la prise de vues restait fixe, le dĂ©placement de la gondole permit une vue «panoramique» sur le grand canal et donna le premier travelling de l’histoire du cinĂ©ma. Cf. Jean Mitry, Histoire du cinĂ©ma…

III. CODES SPECIFIQUES AU CINEMA

A) REMARQUES LIMINAIRES La liste des codes propres au cinĂ©ma est encore Ă  Ă©tablir, Ă  complĂ©ter; elle constitue dĂ©jĂ  une rhĂ©torique complexe, plus ou moins bien dĂ©finie et analysĂ©e. Relevons parmi les Ă©lĂ©ments dĂ©jĂ  rĂ©pertoriĂ©s:

– le code de montage, – le code des mouvements d’appareil, – le code de variation d’Ă©chelle de plans, – le code des changements d’angle de prise de vue, – le code des effets optiques.

Dans cette analyse on peut revenir au dĂ©coupage en unitĂ©s minimales de signification. Ainsi, on peut commuter en bloc le travelling avant avec le travelling arrière. Le montage alternĂ© (A/B/A/B) signifie que les Ă©vĂ©nements reprĂ©sentĂ©s sont simultanĂ©s dans la fiction. A la diffĂ©rence de la langue, ces Ă©lĂ©ments n’ont pas un sens fixe, univoque: le travelling peut aussi bien signifier l’introspection que la dĂ©couverte d’un paysage nouveau; cela dĂ©pend du contexte. La plongĂ©e traduira une impression d’Ă©crasement ou permettra simplement une meilleure vision de la scène. Ce sont d’abord des moyens au service d’une intention. Les effets optiques (fondu par exemple) constituent un cas particulier: des modifications sont apportĂ©es Ă  l’image; souvent ils marquent une transition extradiĂ©gĂ©tique, une intervention du cinĂ©aste dans le rĂ©cit. B) LE MONTAGE

Le cinĂ©ma est un art de la combinaison, de l’agencement; c’est lĂ  qu’intervient le montage, tâche de spĂ©cialiste, de technicien, pas forcĂ©ment rĂ©alisĂ© par le cinĂ©aste.
Le principe du montage narratif a Ă©tĂ© inventĂ© par E.S. Porter pour son film The Great Train robbery, en 1903. Voir une fiche sur ce western et les diffĂ©rentes scènes le composant. Dans La Vie d’un Pompier amĂ©ricainen 1903 Porter avait rĂ©alisĂ© un film innovant, dĂ©jĂ  complexe, mĂŞme si les principes du montage narratif n’Ă©taient pas encore aussi sophistiquĂ©s. Très vite Griffith ou les cinĂ©astes soviĂ©tiques comprennent l’importance esthĂ©tique ou narrative du montage, son potentiel ; la cĂ©lĂ©bration du travail de montage par D. Vertov en 1929 dans l’Homme Ă  la camĂ©ratĂ©moigne de cette prise de conscience.
Si le montage est rĂ©alisĂ© par des techniciens experts, il ne faut pas en conclure naĂŻvement qu’il se limite Ă  une pure et simple opĂ©ration technique; en effet, il convient plutĂ´t d’y voir un principe cinĂ©matographique essentiel car ce travail rĂ©git l’organisation des divers Ă©lĂ©ments filmiques en employant des procĂ©dĂ©s techniques, mis au service d’intentions narratives. Les effets qu’il mobilise pour l’image et la bande son (liaison, symĂ©trie, rupture, contrepoint, enchaĂ®nement linĂ©aire ou non, ponctuation des plans, alternance de point de vue…) sont d’ordre syntaxique, rythmique mais aussi sĂ©mantique et esthĂ©tique. Le montage est par lĂ  mĂŞme un aspect essentiel de la construction/ production du sens d’un film; il donne sens aux images et aux sons, il donne forme Ă  une esthĂ©tique. Il est un Ă©lĂ©ment constituant de la textualitĂ© filmique (Ă©tymologiquement, le texte est aussi un tissu !).

1. Le montage comme travail Le processus de fabrication d’un film est complexe :

– scĂ©nario (inventĂ© ou Ă©laborĂ© Ă  partir d’un texte littĂ©raire…) – dĂ©coupage du scĂ©nario en unitĂ©s d’action; ces unitĂ©s seront dĂ©coupĂ©es en unitĂ©s de tournage (plans) – les plans sont filmĂ©s en diffĂ©rentes prises de vue, pas forcĂ©ment selon un ordre logique, (plusieurs camĂ©ras tournent en mĂŞme temps; on recommence x fois…) – l’ensemble des plans est mis bout Ă  bout (rushes) et ils sont visionnĂ©s :

1) sĂ©lection des meilleures prises de vue; les autres constituent les “chutes”, 2) assemblage bout Ă  bout des bonnes prises : cela constitue l’ours, 3) dĂ©termination exacte de la longueur des plans et assemblage prĂ©cis avec raccords. NB Parfois le cinĂ©ma donne Ă  voir Ă  ses spectateurs le processus de fabrication, d’Ă©criture du film : ainsi fait Orson Welles dans la Splendeur des Amberson2. Le rĂ´le des raccords Les raccords sont importants car ils enchaĂ®nent les plans et donnent l’impression de continuitĂ© du film. « Raccorder, c’est faire en sorte, comme le terme l’indique, que le cut ne soit pas ressenti comme une rupture dĂ©finitive et radicale, mais comme l’occasion d’une couture, qui permet d’assembler des morceaux diffĂ©rents avec la plus grande discrĂ©tion. Il s’agit de camoufler la cĂ©sure, d’en effacer l’impression, tout en conservant la qualitĂ© d’articulation qui est au principe des changements de plan.» Vincent Amiel, EsthĂ©tique du montage, Paris, Nathan, 2001. Voici un bref inventaire de quelques procĂ©dĂ©s de base dans cette opĂ©ration de couture :

– raccord sur un regard: un personnage regarde un objet, souvent hors-champ, dans le plan n°1; dans le plan suivant, on montre l’objet de ce regard. – raccord de mouvement: un mouvement dotĂ© d’une vitesse et d’une direction donnĂ©e est rĂ©pĂ©tĂ© dans un deuxième plan, par deux personnages Ă©ventuellement. – raccord sur un geste: un geste est commencĂ© dans un plan, achevĂ© dans le plan n°2. – raccord dans l’axe: deux moments successifs d’un mĂŞme Ă©vĂ©nement sont traitĂ©s en deux plans, mais la camĂ©ra s’est rapprochĂ©e ou Ă©loignĂ©e pour le plan n°2. – raccord champ contre-champ.

Gervaise de RenĂ© ClĂ©ment : conversation entre Gervaise et Mme Boche. Raccord sur le regard et croisement des points de vue.

Les raccords jouent aussi bien sur l’image que sur le son. Le raccord sur ou par le son ou encore «raccord son» (voix, bruit, musique) fait ainsi entendre vers la fin d’un plan un bruit prĂ©sent au dĂ©but du plan suivant. Le raccord peut se faire par la parole, sur un mot employĂ© dans le discours d’un personnage (il parle de quelque chose, on voit ensuite ce quelque chose…); on peut entendre dans un plan la voix, le cri d’un personnage qu’on dĂ©couvre dans le plan suivant (La Nuit du Chasseur de Ch. Laughton en 1955). Le raccord peut aussi se faire sur ou par la musique. Celle-ci peut alors changer de statut, comme dans Short Cuts de Robert Altman, en 1993 : d’intradiĂ©gĂ©tique, produite par un personnage dans le monde de la fiction, elle devient au plan suivant accompagnement, (presque) musique off qui tisse un lien entre les plans des diverses sĂ©quences qui se croisent et souligne une atmosphère. Le raccord cut est une option frĂ©quente de montage : c’est une coupe franche, un passage brusque d’un plan Ă  un autre sans aucun effet optique, sans ponctuation. Le jump cut est une technique de montage moderne marquĂ©, provoquant une sorte de saut visuel, juxtaposant deux moments diffĂ©rents. A l’intĂ©rieur mĂŞme d’un plan, on a supprimĂ© quelques images, un fragment pour garder seulement le dĂ©but et la fin; ces deux moments sont liĂ©s par un simple cut. Ainsi, par exemple, un personnage après cette coupe se retrouve propulsĂ© Ă  un autre endroit du cadre. Voir aussi dans A bout de souffle l’usage de J.-L. Godard. On pourrait percevoir le “jump cut” comme un plan syncopĂ©. Le faux raccord repose, volontairement ou non, sur un effet de discontinuitĂ© obtenu par la mise en Ă©vidence du changement de plan. 3. Les tables de montage et les catĂ©gories Le montage, au sens strict, est «l’organisation des plans du film dans certaines conditions d’ordre ou de durĂ©e», selon Marcel Martin. Techniquement, le montage consiste Ă  assembler les nombreux plans selon un ordre logique. En effet, lors du tournage, les diffĂ©rents plans ont Ă©tĂ© souvent enregistrĂ©s dans un certain dĂ©sordre. Il s’agit alors de les assembler selon un ordre prĂ©vu par le rĂ©alisateur, plus ou moins complètement au prĂ©alable. Plus largement, le montage constitue le principe qui rĂ©git l’organisation des Ă©lĂ©ments filmiques visuels ou sonores, l’assemblage de tels Ă©lĂ©ments, par leur juxtaposition, leur enchaĂ®nement, le rĂ©glage de leur durĂ©e. La première fonction du montage est narrative : il va assurer la liaison syntaxique des diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de l’action selon un rapport gĂ©nĂ©ral de causalitĂ©, de temporalitĂ© diĂ©gĂ©tique. La deuxième fonction est expressive, d’ordre sĂ©mantique ou esthĂ©tique ; alors le montage vise Ă  exprimer par la rencontre ou le choc de deux images un sentiment, une idĂ©e. Une autre fonction importante est d’ordre rythmique, souvent alors en liaison avec la bande sonore, la musique, Il existe plusieurs sortes de montages qui renvoient Ă  des tables de montage, des grilles empiriques, d’origine pratique : – Poudovkine : antithèse/ parallĂ©lisme/ analogie/ synchronisme/ leitmotiv (les sĂ©quences sont organisĂ©es selon un thème). – Balazs : idĂ©ologique/ mĂ©taphorique/ poĂ©tique/ allĂ©gorique/ intellectuel/ rythmique/ formel/ subjectif. Les montages linĂ©aire, alternĂ©, parallèle correspondent Ă  divers types de construction sĂ©quentielle, diffĂ©rents assemblages des segments du film. – Le montage alternĂ© : le montage instaure une relation de simultanĂ©itĂ© entre les sĂ©ries. A / B / A / B Ce montage fait alterner deux sĂ©ries d’évĂ©nements se dĂ©roulant dans des espaces diffĂ©rents mais dans le mĂŞme segment de temps. Dans ce type de montage, on fait alterner au moins deux situations qui ont un rapport direct Ă  la mĂŞme histoire. Ce montage accentue la convergence et amplifie le suspense : l’exemple canonique est celui du sauveur qui vient au secours de la victime ; on passe alternativement du hĂ©ros qui s’en vient Ă  la victime… Quelques images de La tĂ©lĂ©graphiste de LonedaleThe Lonedale Operator, de David Wark Griffith en 1911 : prisonnière d’un groupe de bandits qui a voulu voler la paie des employĂ©s du train, dans une gare isolĂ©e, une jeune fille appelle son fiancĂ© Ă  la rescousse par le tĂ©lĂ©graphe. Celui-ci arrive par le train, Ă  temps ! Une part essentielle du film repose sur la logique d’un contre la montre.

– Le montage linĂ©aire : les sĂ©quences s’enchaĂ®nent selon une progression purement, strictement chronologique. Il existe un montage flash-back ou montage inversĂ© avec rĂ©trospection comme dans la littĂ©rature narrative. Le montage classique prĂ©sente une histoire de façon chronologique ou linĂ©aire (dĂ©but , milieu, fin), sans jouer sur la chronologie. Ce type de montage se concentre ainsi sur une seule action Ă  la fois.  A => B => C => D
– Le montage parallèle correspond Ă  une thĂ©matique. Il fait alterner deux ou plusieurs sĂ©ries d’évĂ©nements prĂ©sentant des similitudes ou comportant des relations logiques, mais ne se situant pas nĂ©cessairement dans le mĂŞme segment temporel.D.W. Griffith dans IntolĂ©rance, en 1916, l’utilise avec des parallèles de sĂ©quences entières pour montrer l’identitĂ©, sur un mode analogique, de l’intolĂ©rance au cours des pĂ©riodes historiques. Le cinĂ©aste avait dĂ©jĂ  explorĂ© le procĂ©dĂ© en 1909 dans Les SpĂ©culateursA Corner in wheat, rĂ©flexion sur le capitalisme oĂą il oppose le luxe des spĂ©culateurs en grain Ă  la pauvretĂ© des gens du peuple. Ce montage contrastĂ© permet de porter un regard accusateur; il prend une fonction argumentative. Voir un dĂ©coupage des SpĂ©culateursA // B // C // D
Corner in wheat: rĂ©ception du magnat qui fĂŞte son succès sur le marchĂ©.En Ă©cho : les consĂ©quences pour le peuple, accablĂ© par la hausse des prix du pain.
Les consĂ©quences de la spĂ©culation frappent le peuple des campagnes…comme les pauvres des villes. Le parallèle est appuyĂ©.
IntolĂ©rance est essentiellement construit sur des montages parallèles, unissant des actions se dĂ©roulant Ă  quatre Ă©poques et en dix lieux diffĂ©rents. Les quatre rĂ©cits d’abord prĂ©sentĂ©s sĂ©parĂ©ment, vont s’enchaĂ®ner les uns Ă  la suite des autres, selon un rythme de plus en plus rapide.
I. AmĂ©rique contemporaine : II. Palestine  antique : 
Episode moderne : après une grève durement rĂ©primĂ©e par un industriel poussĂ© par sa soeur, un jeune garçon va vivre en ville oĂą il Ă©pouse sa bien-aimĂ©e et frĂ©quente des vauriens…Le conflit de JĂ©sus avec les Pharisiens et avec Rome.
III.  France du XVI ème : IV. Babylone, en 539 avant JĂ©sus-Christ : 
Une jeune huguenote et son fiancĂ© arrivent Ă  Paris oĂą Charles IX et Catherine de MĂ©dicis prĂ©parent la Saint-BarthĂ©lĂ©my; ils seront massacrĂ©s.Les prĂŞtres de Baal, aidĂ©s d’un rhapsode, conspirent contre Balthazar, prince tolĂ©rant. Au cours d’un festin fastueux les troupes de Cyrus envahissent Babylone…

IntolĂ©rance, dont le sous-titre est Love’s Struggle through the Ages, mĂŞle ainsi quatre histoires «coulant d’abord comme des fleuves majestueux, puis se mĂ©langeant comme des torrents impĂ©tueux». Le montage parallèle est gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  la construction d’ensemble. On observera d’après ces photogrammes que Griffith a fait teinter avec 4 couleurs diffĂ©rentes les pĂ©riodes pour les typer en quelque sorte : l’histoire moderne est ambrĂ©e, l’Ă©pisode Ă©vangĂ©lique est en bleu… On pourrait presque parler cum grano salis de couleur locale. D’autres types de montages peuvent aussi ĂŞtre Ă©voquĂ©s : – MontageinversĂ© : ce montage fait voyager dans le temps, passĂ© ou futur. On suit une situation puis, par un flash back, un plan, une scène vient nous raconter ce qui s’est passĂ© avant. Ce jeu prĂ©sent /passĂ© /prĂ©sent vient souvent aider Ă  la comprĂ©hension d’une situation, d’un personnage. – Montageanalytique : ici, l’action est dĂ©coupĂ©e, dĂ©cortiquer en une foule de plans diffĂ©rents. On en fait ressortir ainsi toutes les facettes, tous les dĂ©tails. Cette façon de dĂ©composer permet au spectateur de mieux analyser une situation. – MontagesynthĂ©tique : ce montage complexifie les plans pour leur donner un haut degrĂ© de signification. Cette façon de procĂ©der favorise les ellipses, ce qui reste non-dit. – MontageĂ leitmotiv : ce montage fait appel Ă  la rĂ©pĂ©tition de certains plans significatifs. Ces motifs qui reviennent tout au long du film rappellent ainsi le refrain d’une chanson. On emploie ce type de montage autant dans le cinĂ©ma de propagande politique — le plan rĂ©pĂ©tĂ© devient un slogan — que dans des comĂ©dies oĂą la rĂ©pĂ©tition du gag devient un mĂ©canisme essentiel du rire (cf. Bergson).

Serguei M. Eisenstein a distinguĂ© dans MĂ©thodes de Montage (article de 1929) plusieurs principes de montage :  1. Le montage mĂ©trique qui se fonde sur la longueur absolue d’un plan. «Les images sont montĂ©es en fonction de leur longueur, selon un schĂ©ma structurel correspondant Ă  une mesure musicale.» Ce montage ne prend pas en compte le contenu de l’image, la substance du cadre. Exemple : un pied (unitĂ© de mesure) d’un plan A est suivi de deux pieds d’un plan B, puis un pied de A’, suivi de deux de B’, et ainsi de suite… On peut trouver de tels montages Ă©galement chez D. Vertov, dans L’Homme Ă  la camĂ©ra, avec un travail de synchronisation entre la bande son et l’image, morcelĂ©e en petits fragments, pour traduire l’expĂ©rience de la ville et la vitesse. 2. Le montage rythmique qui fonctionne sur le rythme de l’enchaĂ®nement des plans : exemple canonique de la sĂ©quence des escaliers d’Odessa dans le Potemkine (1925). Ce montage va un peu plus loin que le montage mĂ©trique car on prend en compte le mouvement Ă  l’intĂ©rieur du cadre et la composition de l’image. Avec la sonorisation du cinĂ©ma, le montage rythmique a bien sĂ»r jouĂ© aussi des Ă©lĂ©ments auditifs: sons, musique, paroles. 3. Le montage tonal fondĂ© sur le sens Ă©motionnel des sĂ©quences ; il se fait d’après des dominantes et le conflit rythme/ dominante. Exemple : la sĂ©quence du deuil Ă  Odessa lors de l’hommage funèbre rendu au marin Vakoulinchouk, «tuĂ© pour une assiette de soupe» dans le Potemkine. 4. Le montage overtonal ou harmonique, qui rĂ©sulte du conflit entre le ton dominant d’une sĂ©quence et ses harmoniques, il travaille l’harmonie mĂ©lodique de l’enchaĂ®nement des plans ; ce montage est fondĂ© sur la perception physiologique du corps. Il cumule et associe les procĂ©dĂ©s des trois prĂ©cĂ©dents types. Exemple: la fin de La Mère (1925) de Vsevolod Poudovkine. 5. Le montage intellectuel ou idĂ©ologique, fondĂ© sur le contenu symbolique produit par deux ou plusieurs images enchaĂ®nĂ©es, qui relève d’une dĂ©marche dialectique. Le sens naĂ®t de la juxtaposition des plans. Voir la sĂ©quence dite des dieux dans Octobre (1927) ou un peu avant la fin du film La Grève (1924) la sĂ©quence alternant brutalement des images d’abattage de bestiaux et d’affrontements sanglants entre ouvriers grĂ©vistes et forces de l’ordre. Cette mise en sĂ©rie d’images juxtaposĂ©es est perçue sur le mode de la comparaison; on entend ensuite par lĂ  le propos : «Les prolĂ©taires sont traitĂ©s comme du bĂ©tail, perdant leur humanitĂ© et massacrĂ©s bestialement.»Ce montage dialectique, conceptualisĂ© par Eisenstein, est mis en oeuvre par le cinĂ©ma soviĂ©tique dans les annĂ©es 1920 -30. Pour le cinĂ©aste russe, de deux plans peut surgir une nouvelle et troisième idĂ©e ; la notion dynamique de conflit, nodale, est empruntĂ©e Ă  la dialectique hĂ©gĂ©lienne puis marxiste; pour les philosophes de l’Histoire au XIXème l’histoire avance en effet au fur et Ă  mesure des conflits. Eisenstein s’inscrit dans cette logique en privilĂ©giant l’art de la collision. L’exemple de la Grèveemprunte Ă  deux domaines Ă©loignĂ©s, hĂ©tĂ©rogènes a priori: comme dans l’image surrĂ©aliste selon Pierre Reverdy (1918) plus la distance entre les deux termes associĂ©s est grande, plus l’effet chez le spectateur est fort, sur le plan logique et Ă©motionnel. Â« L’image est une crĂ©ation pure de l’esprit. Elle ne peut naĂ®tre d’une comparaison mais du rapprochement de deux rĂ©alitĂ©s plus ou moins Ă©loignĂ©es. » « Le montage est l’art d’exprimer ou de signifier par le rapport de deux plans juxtaposĂ©s de telle sorte que cette juxtaposition fasse naĂ®tre l’idĂ©e ou exprime quelque chose qui n’est contenu dans aucun des deux plans pris sĂ©parĂ©ment. L’ensemble est supĂ©rieur Ă  la somme des parties. » S. M. Eisenstein s’inscrit ainsi clairement dans la ligne de Koulechov. 1 + 1 = 3 ? Le cinĂ©aste travaille alors la relation rĂ©ciproque des scènes ou plutĂ´t des fragments juxtaposĂ©s et il met en scène une lutte entre des principes opposĂ©s. Dans le CuirassĂ© Potemkine, 1925, par exemple, Eisenstein met en lumière par le biais du montage les antagonismes ou tensions qui dĂ©boucheront sur le conflit. Voir ici le chapitre Langages et codes sur le lorgnon du Dr Smirnov. En effet, le cinĂ©ma d’Eisenstein ne cherche pas tant Ă  dĂ©crire le rĂ©el qu’Ă  le rĂ©vĂ©ler : c’est lĂ  le rĂ´le didactique du montage. Tout art, et donc le cinĂ©ma, doit servir un projet politique, social et pĂ©dagogique : engagĂ©, il s’adresse aux masses populaires pour leur faire comprendre le rĂ©el, en le dĂ©cryptant.

4. Montage interne Ă  l’imagea- Split screen ou Ă©cran partagĂ© Le split screen, est une forme de montage, dans un sens plus large du terme, mais sur / dans le plan de l’image. Cet effet cinĂ©matographique consiste Ă  diviser l’Ă©cran en plusieursfenĂŞtres, Ă  le partager en deux, trois parties ou plus ; chacune d’elles prĂ©sente alors soit une scène diffĂ©rente, soit une autre perspective sur le mĂŞme Ă©vĂ©nement, dans une sorte d’effet stĂ©rĂ©oscopique ou dans la recherche d’une vision plus complexe du rĂ©el.GĂ©nĂ©ralement, l’action prĂ©sentĂ©e dans les fenĂŞtres est synchronisĂ©e ; il s’agit de permettre aux spectateurs de suivre diverses actions simultanĂ©es ou de bĂ©nĂ©ficier de plusieurs points de vue en parallèle sur une mĂŞme scène. Les scènes de dialogue Ă  distance (tĂ©lĂ©phone…) en “Ă©cran partagĂ©” sont frĂ©quentes, y compris dans les tĂ©lĂ©films. On peut trouver des exemples prĂ©figurateurs de ce procĂ©dĂ© dès le NapolĂ©on d’Abel Gance, en 1926, qui utilise trois volets simultanĂ©s, tournĂ©s avec trois camĂ©ras et destinĂ©s Ă  ĂŞtre projetĂ©s simultanĂ©ment sur trois Ă©crans; mais chez Gance le procĂ©dĂ© du triptyque va plus loin.

NapolĂ©on d’Abel Gance : dĂ©coupage en triptyque de l’Ă©cran (1926).

Chez Abel Gance, outre l’apport spectaculaire d’une image trois fois plus large, la juxtaposition ou polyvision — cette appellation est de Gance — permet des effets d’Ă©criture variĂ©s dans un registre Ă©pico-lyrique : la mĂŞme image peut ainsi se rĂ©pĂ©ter en Ă©cho sur les trois Ă©crans ; on peut aussi avoir trois points de vue sur la mĂŞme scène comme dans un split screen ; on peut enfin avoir une symĂ©trie par inversion des images latĂ©rales. « La partie centrale du triptyque, c’est de la prose et les deux parties latĂ©rales sont de la poĂ©sie, le tout s’appelant du cinĂ©ma. » Il est connu que Brian de Palma affectionne cette technique comme en atteste Phantom of Paradise en 1974.

Winslow, le fantĂ´me, pendant la rĂ©pĂ©tition du spectacle au Paradise, a posĂ© une bombe dans une voiture qui sert d’accessoire. Elle explose sous les yeux du diabolique propriĂ©taire. La sĂ©quence montĂ©e en split screen Ă©voque en rĂ©fĂ©rence, pour lui rendre hommage, La Soif du Mal, Touch of Evil, d’Orson Welles (1958). Quelquefois, certains cinĂ©astes, comme A. Hitchcock dans ces images de Pas de printemps pour Marnie, dĂ©coupent “naturellement” l’espace dans la mĂŞme image en deux parties, juxtaposĂ©es, qui semblent comme indĂ©pendantes ; les personnages ne se voient pas et Ă©voluent ainsi dans deux espaces qui s’ignorent, sĂ©parĂ©s par une cloison, celle du bureau ou celle du couloir. Le spectateur, quant Ă  lui, a une perspective d’ensemble : sans parler d’omniscience, il en voit / sait plus que chaque personnage, pris sĂ©parĂ©ment.

On trouve d’autres exemples de split screen naturel chez Jacques Tati dansPlaytime, en 70 mm.

b- Montage interne et profondeur de champ Voir infra Ă  Effets Optiques les commentaires sur le travail d’O. Welles en ce domaine, dans Citizen Kane ou les Amberson.Welles mobilise la profondeur de champ dans des sĂ©quences oĂą la camĂ©ra reste fixe : ce sont les personnages qui bougent dans le cadre et qui y occupent des places variables. Le spectateur prend alors un rĂ´le actif: c’est Ă  lui de voir ce qui se passe dans les divers plans (en profondeur) de l’image, Ă  lui de trier, puis lier les informations;Welles Ă©tage ses informations sur deux ou trois plans qu’il faut mettre en relation. C) LES PLANS CINEMATOGRAPHIQUES Le plan est une unitĂ© de base dans le cinĂ©ma : c’est un morceau de pellicule, sĂ©lectionnĂ© au montage, correspondant Ă  une prise de vue de la camĂ©ra, effectuĂ©e sans interruption. On peut ordonner les plans en fonction de diffĂ©rents critères, selon :

– la grosseur, – la mobilitĂ©, – la durĂ©e ou encore – l’angle de prise de vue.

1) GROSSEUR DES PLANS On dĂ©finit traditionnellement plusieurs tailles de plans en fonction des divers cadrages possibles d’un personnage, d’un sujet, en rapport avec l’Ă©loignement de l’objectif et du sujet. Voici un classement selon une Ă©chelle des plans classique :

– plan gĂ©nĂ©ral– plan amĂ©ricain
– plan d’ensemble– plan rapprochĂ©
– plan de demi-ensemble ou de petit ensemble– gros plan, insert
– plan moyen– très gros plan.

Dès les premières vues Lumière en 1895, l’intĂ©rĂŞt des diverses valeurs de cadre a Ă©tĂ© perçu : voir l’ArrivĂ©e d’un train en gare de la Ciotat.

Le plan gĂ©nĂ©ral et d’ensemble permettent de situer un lieu, de prĂ©senter, d’embrasser tout un dĂ©cor; ils suggèrent souvent une ambiance (pluie), un moment (nuit).  NB Les exemples proposĂ©s ici sont tous tirĂ©s de  Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock, 1964.
– Le plan gĂ©nĂ©ral situe la totalitĂ© des dĂ©cors et, de la façon la plus large possible : il est strictement d’ordre descriptif. Il est particulièrement intĂ©ressant pour montrer un grand espace, extĂ©rieur souvent, comme dans les westerns.  – Le plan d’ensemble Ă©tablit de façon plus prĂ©cise le dĂ©cor, le lieu de l’action ; il constitue dĂ©jĂ  un choix. Dans ce type de cadrage, on peut retrouver des personnages mais ils sont perdus dans le dĂ©cor : c’est donc encore un plan d’ordre descriptif.
Dans le plan de demi-ensemble, le dĂ©cor est rĂ©duit par rapport au plan d’ensemble; souvent, les personnages sont groupĂ©s; ils sont plus importants que le dĂ©cor : ce plan situe ainsi les personnages dans leur dĂ©cor.   
Le plan moyen permet de montrer des groupes de personnages, en coupant le dĂ©cor autour d’eux; on montre leurs occupations… Ce plan cadre un ou des personnages en entier, des pieds Ă  la tĂŞte, en rĂ©fĂ©rence Ă  un adulte debout. A partir de ce cadrage, l’action a prĂ©dominance sur le dĂ©cor : ce plan est plutĂ´t d’ordre narratif, l’aspect descriptif devenant secondaire.
Le plan amĂ©ricain, voisin du plan italien, coupe les personnages plus bas que la ceinture : il les isole Ă  mi-cuisse ; on voit donc ainsi souvent leurs mains. Ce plan tirerait son appellation des westerns : on y cadre souvent les cowboys de la tĂŞte aux revolvers colts. Ce type de cadrage est usitĂ© lors de scènes de discussion entre deux personnages ; ce procĂ©dĂ© prend ainsi une valeur dramatique.
Le plan rapprochĂ© permet l’approche d’un groupe, montre un acteur en buste; on s’intĂ©resse Ă  son jeu, ses mimiques, ses rĂ©actions.  On fixe alors l’attention sur un personnage ; l’action est donc moins importante que la psychologie du personnage. Ce cadrage est souvent utilisĂ© pour les conversations ; il relève d’une valeur dramatique;  On peut distinguer dans les plans rapprochĂ©s, selon la coupe, le plan poitrine, le plan taille et le plan Ă©paule.
Le gros plan peut montrer en dĂ©tail un visage, dĂ©tailler un objet. Il a une grande capacitĂ© de renseignement, un pouvoir suggestif : c’est un plan très puissant parce que très concentrĂ©.  Il a Ă©videmment une valeur dramatique et essentiellement psychologique : «Il constitue un des apports les plus prestigieux du cinĂ©ma. (…) C’est dans le gros plan du visage humain que se manifeste le mieux la puissance de signification psychologique et dramatique du film. La camĂ©ra sait fouiller les visages, y faire lire les drames les plus intimes.» Marcel Martin, Le langage cinĂ©matographique, 1962.
Le très gros plan ou  plan serrĂ© peut focaliser sur les lèvres, les yeux d’un personnage ou sur un bouton de commande, un objet etc. Il peut donner une acuitĂ© monstrueuse, crĂ©er une tension. Il isole souvent un dĂ©tail du corps ou du visage qui prend une importance dramatique. Il peut encore provoquer un effet de suspense; si l’on ne montre que la bouche d’une personne au tĂ©lĂ©phone : on tait ainsi son identitĂ© provisoirement….
L’insert, stricto sensu, est un plan qui, comme l’indique l’Ă©tymologie, est tournĂ© sĂ©parĂ©ment pour ĂŞtre intercalĂ©, “insĂ©rĂ©” ensuite lors du montage. Il montre en gros plan un objet ou un dĂ©tail : il sert Ă  dĂ©signer un Ă©lĂ©ment de l’action susceptible de prendre une importance dramatique ; les inserts reprĂ©sentent aussi frĂ©quemment des documents : lettres, livres, journaux…  Souvent le terme d’insert est assimilĂ© de façon rĂ©ductrice au gros plan, voire au plan de coupe qui est un plan de brève durĂ©e insĂ©rĂ© au montage pour assembler deux plans qui ne se raccordent pas parfaitement.
Travail de classement Ă  faire sur une sĂ©rie d’images de la Nuit du Chasseur.
Voici un schĂ©ma reprĂ©sentant les lignes de dĂ©coupe possibles d’un personnage, dans une Ă©chelle classique des plans.
Un exemple possible de montage des plans donnĂ© en exemple. Cette sĂ©rie d’images assemblĂ©es constitue une sĂ©quence, une unitĂ© sĂ©mantique : on suit la promenade d’une jeune femme sur un quai. La sĂ©quence correspond Ă  une unitĂ© narrative ; elle se constitue d’une sĂ©rie de plans ou de scènes qui forme un tout et qui raconte une histoire, un moment d’une histoire.Exemple de montage : Ă  faire

Exemple d’usage des plans par Renoir dans une sĂ©quence de la Règle du Jeu, 1939

Jean Renoir se rapproche dans cette scène de plus en plus de ses personnages : plan d’ensemble avec un arrière plan très net (on voit nettement ici, Ă  travers la fenĂŞtre, le palais de Chaillot, le TrocadĂ©ro Ă  l’arrière plan qui authentifie le cadre), puis plans amĂ©ricains, ensuite plans rapprochĂ©s et enfin gros plan. 2) EN TERME DE MOBILITE On peut opposer le plan fixe aux diffĂ©rents types de mouvement d’appareil, y compris le zoom. – Le panoramique C’est le balayage par l’axe optique de la camĂ©ra d’un angle, sans bouger l’appareil de place. Un panoramique pertinent part souvent d’un Ă©lĂ©ment intĂ©ressant pour aller vers quelque chose d’encore plus intĂ©ressant…On peut classer les panoramiques en fonction de l’angle de dĂ©placement du rayon visuel de la camĂ©ra.

– panoramique horizontal: <—> un paysage est prĂ©sentĂ© d’un point de vue Ă©levĂ©. 
– panoramique vertical: | on regarde un monument Ă©levĂ©, un personnage est montrĂ© des pieds Ă  la tĂŞte. 
– panoramique oblique / on suit l’envol d’un oiseau, la descente d’un skieur. 
– panoramique brisĂ© : la trajectoire suit plusieurs plans, elle peut ĂŞtre fantaisiste; on prĂ©sente ainsi les recoins d’un dĂ©cor, le dĂ©placement hĂ©sitant d’une personne.

On pourrait aussi les classer en fonction du rĂ©sultatrecherchĂ© :

– Le panoramique d’exploration, en gĂ©nĂ©ral plutĂ´t lent, montre tous les dĂ©tails d’un dĂ©cor. Il prend souvent par sa fonction descriptive un rĂ´le introductif, permettant la dĂ©couverte d’un espace…. 
– Le panoramique d’accompagnement suit un sujet en mouvement, l’image est centrĂ©e sur lui pour concentrer l’attention. 
– Le panoramique rapide, de balayage permet de rĂ©unir deux sujets liĂ©s, sans coupure visuelle, rapidement.

– Le travelling Le travelling implique un dĂ©placement de la camĂ©ra dans l’espace; elle est souvent placĂ©e sur un chariot qui se dĂ©place sur des rails (dolly…), sur / dans une voiture, avec une Louma… (LaLouma est une grue lĂ©gère, montĂ©e sur chariot, dotĂ©e d’un bras tĂ©lescopique portant une camĂ©ra sur pivot mobile. Le cadrage ou la mise au point sont rĂ©glĂ©s Ă  distance via une tĂ©lĂ©commande et on contrĂ´le sur un moniteur.) On peut distinguer :

– le travelling latĂ©ral : vertical avec une camĂ©ra dans un ascenseur, par exemple, qui se dĂ©place de haut en bas; horizontal avec la camĂ©ra dans une voiture, un train ou des rails en studio, elle se dĂ©place de gauche Ă  droite. Le rayon visuel de la camĂ©ra se dĂ©place parallèlement Ă  l’objet, la camĂ©ra Ă©tant fixe Ă  bord d’un engin mobile. Cf. les galopades des westerns.

– le travelling dans l’axe optique : la camĂ©ra se dĂ©place dans l’axe de son rayon visuel, soit en s’Ă©loignant ou se rapprochant du sujet fixe.

On parle de travelling avant et de travelling arrière. En prise de vue continue on passe d’un type de plan Ă  un autre: du plan gĂ©nĂ©ral au gros plan, par exemple; dans ce cas on a un travelling avant d’approche.

– travelling d’accompagnement, travelling d’exploration: technique analogue Ă  celle du panoramique d’accompagnement.

– Le pano-travelling

Il rĂ©sulte de la combinaison d’un panoramique et d’un travelling ; souvent il est rĂ©alisĂ© Ă  l’aide d’une grue.

– Le zoom Au sens strict, il dĂ©signe un type d’objectif spĂ©cial Ă  focale variable; sans bouger la camĂ©ra de place, il permet d’obtenir des effets de travelling dans l’axe, avant ou arrière. On peut considĂ©rer le zoom comme un travelling optique. Alors que le travelling amène un changement de perspective, liĂ© au dĂ©placement de la camĂ©ra, le zoom se contente de jouer sur le grossissement de l’image.

Usage du zoom pour dĂ©gager un personnage de la foule.  Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento, 1993.

3) EN TERME DE DUREE Les plans, unitĂ©s de montage, peuvent ĂŞtre très brefs (1 seconde), ou plus ou moins longs (x minutes). On arrive au plan-sĂ©quencequand un plan est suffisamment long pour contenir l’Ă©quivalent Ă©vĂ©nementiel d’une sĂ©quence, c.a.d. un enchaĂ®nement, une suite logique d’Ă©vĂ©nements distincts. La signification d’un plan simple est perçue rapidement; dans le cas d’un gros plan, deux secondes suffisent. Si le plan est touffu, s’il y a plusieurs personnages, objets, la prĂ©sence Ă  l’Ă©cran doit ĂŞtre nĂ©cessairement plus longue. Ainsi, dix secondes semblent utiles pour un plan d’ensemble fixe. Le temps de perception est inversement proportionnel Ă  la grosseur de l’image. D) LES ANGLES DE PRISE DE VUE

La prise de vue, la visĂ©e, peut se faire selon des angles et des axes variĂ©s.  On peut distinguer, selon l’angle formĂ© par l’axe de la camĂ©ra et le sol, trois grands types d’angles :
1- vue dans l’axe de l’objectif, sur un plan horizontal : la camĂ©ra est Ă  hauteur d’oeil, c’est le cas, non marquĂ©, ordinaire. Certains cinĂ©astes jouent subtilement sur la hauteur de la camĂ©ra: le Japonais Yasujiro Ozu a ainsi filmĂ© « au niveau des tatamis » en plaçant la camĂ©ra très bas, presque au niveau du sol pour s’adapter Ă  l’ameublement oriental ; cf. le Voyage Ă  Tokyo en 1953 ci-contre et une photographie du tournage deRiz au thĂ© vert en 1952.
2- vue en plongĂ©e :  l’axe optique de la camĂ©ra est dirigĂ© vers le bas, très penchĂ© Ă©ventuellement. On “domine” le spectacle, on Ă©crase le sujet filmĂ©, on l’amenuise potentiellement. On peut en tirer des effets psychologiques ou symboliques.
3- vue en contre-plongĂ©e :  l’axe optique de la camĂ©ra est dirigĂ© vers le haut, cf. la cĂ©lèbre boutade «On filme les plafonds.» FrĂ©quent, quand il s’agit de montrer un monument, une tour; on peut ainsi accentuer un effet de majestĂ©, le bâtiment paraĂ®t dominateur. L’effet est plus ou moins marquĂ© ; la c-p peut ĂŞtre lĂ©gère.
Orson Welles filmant « au ras des marguerites » pour une contre-plongĂ©e. Le rĂ©alisateur utilise Ă  plusieurs reprises le mĂŞme procĂ©dĂ© dans Citizen Kane ; l’Ă©pisode est Ă©voquĂ© de façon pittoresque dans RKO 281 (Citizen Welles) de Benjamin Ross (1999).
On peut aussi ĂŞtre attentif Ă  l’axe de la camĂ©ra : celle-ci peut-ĂŞtre, par rapport Ă  l’objet filmĂ©, placĂ©e en face, frontalement, ou latĂ©ralement avec un angle variable : 60°, 45°, 30°…  Pour un personnage, on peut observer qu’il peut ĂŞtre vu dans le cadre de l’image sous diffĂ©rents axes de regards : de face, de dos, de profil, de trois-quarts par la gauche ou la droite… Welles compose ainsi habilement ce plan de Citizen Kane.

Exemple d’usage des angles et des axes tirĂ© d’une sĂ©quence de Citizen Kane.

Le dernier photogramme de Welles montre qu’il ne faut pas interprĂ©ter mĂ©caniquement ou de façon univoque les valeurs des angles de prise de vue. Kane est rĂ©duit et vu d’en haut, mais il serait naĂŻf de dire sommairement qu’il est Ă©crasĂ© symboliquement. Il est au fait de sa puissance ; il est donc l’objet de tous les regards. La surcomposition de l’image avec des cadres dans le cadre et l’effet de lumière attirent l’attention sur lui ou plutĂ´t sur son image mĂŞme ; cela dit, quelque chose aussi se joue Ă  droite du cadre. Un regard, une menace potentielle sont dĂ©jĂ  lĂ . Question de nuance.

Dreyer a utilisĂ© dans sa Passion de Jeanne d’Arc des camĂ©ras Ă  la verticale, en plongĂ©e totale. Cet angle de vue inhabituel attire l’attention du spectateur et dans le contexte signifie le bourleversement du peuple lors de l’exĂ©cution de Jeanne. Les AmĂ©ricains appellent cette vue Ă  la verticale bird’s eyeview ou bird’s eye shot.

E) CHAMP / CONTRE-CHAMP / HORS-CHAMP Le champ est la portion d’espace imaginaire contenue Ă  l’intĂ©rieur du cadre de l’image. Le hors-champest liĂ© au champ, il n’existe qu’en fonction de lui : c’est l’ensemble des Ă©lĂ©ments (personnages, dĂ©cor…) qui, n’Ă©tant pas inclus dans le champ, lui sont nĂ©anmoins rattachĂ©s imaginairement, pour le spectateur, par un moyen quelconque, selon la dĂ©finition de Jacques Aumont dans son EsthĂ©tique du Film. Avec le hors-champ, on laisse des Ă©lĂ©ments de l’action hors du cadre, mais pour obtenir un effet : par exemple, on suit sur le visage de spectateurs masculins les Ă©tapes d’un strip-tease. On observera que le regard comme le son de la voix sont des Ă©lĂ©ments essentiels pour constituer ce qui est hors-champ. Le champ et le hors-champ communiquent de diffĂ©rentes façons :

– entrĂ©e dans le champ / sortie du champ de la camĂ©ra (gĂ©nĂ©ralement, par le bord latĂ©ral du cadre); un personnage sort du cadre ou entre ; – interpellation du hors-champ : un personnage regarde Ă  l’extĂ©rieur du champ ; il adresse la parole Ă  quelqu’un qu’on ne voit pas dans le champ ; – le hors-champ peut se dĂ©finir aussi par rapport Ă  des personnages : une partie d’un personnage est hors cadre.

Echange cordial dans Pas de printemps pour Marnie.
Le hors-champ peut interagir avec le champ et il investit parfois l’image selon divers procĂ©dĂ©s : un miroir cadrĂ© par la camĂ©ra peut reflĂ©ter des Ă©lĂ©ments hors-champ; l’ombre d’un personnage hors champ peut se projeter sur le sol ou sur un mur… On pense ainsi au plan cĂ©lèbre de M. le Mauditde F. Lang.

Le champ et le contre-champ : la camĂ©ra braquĂ©e sur un sujet dĂ©finit un champ de prise de vue; si on la dĂ©place de 180°, on cadre un contre-champ. On utilise souvent pour cela deux camĂ©ras qui tournent en mĂŞme temps. Par exemple, on filme deux interlocuteurs assis, face Ă  face, Ă  une table; on voit, d’abord, X de face et Y de dos, ensuite Y de face et X de dos. Dans la pratique, les camĂ©ras ne sont pas en face Ă  face, en opposition Ă  180 °, mais elles se situent entre 90 et 120 ° d’opposition ; cela permet d’Ă©viter de les placer l’une dans le champ de l’autre et cela contribue Ă  donner un effet de continuitĂ© d’espace au spectateur.

HĂ´tel du Nord (1938) de M. CarnĂ© : usage des regards dans l’opposition champ/ contre-champ au comptoir.
 Citizen Kane d’Orson Welles

F) EFFETS OPTIQUES Sans parler des effets spĂ©ciaux et de l’image de synthèse, Ă©laborĂ©e sur ordinateur, Ă©voquons quelques procĂ©dĂ©s de base.

La profondeur de champ concerne la nettetĂ© des diffĂ©rents plans de l’image, elle joue sur la troisième dimension de l’image et permet une mise en perspective. Le cinĂ©aste peut utiliser le flou artistique ou au contraire une grande nettetĂ© des objets Ă  l’Ă©cran, en faisant varier la P.D.C. (grande / nulle); pour cela, il change la focale de l’objectif (courte / longue) ou l’ouverture du diaphragme. En diminuant la taille de l’ouverture, on augmente ainsi la profondeur de champ…
La P.D.C. a un rĂ´le esthĂ©tique et expressif. Chez Renoir, par exemple, la nettetĂ© de l’arrière plan montre son importance, il essaie de l’utiliser pour suggĂ©rer une atmosphère. Orson Welles dans Citizen Kane a utilisĂ© une P.D.C. maximale, oĂą tout est net, du premier Ă  l’arrière plan ; chez lui, la p.d.c. est un des ressorts du plan sĂ©quence et participe Ă  la dramatisation.  Au contraire, chez Sergio Leone, la P.D.C. est rĂ©duite ; le cinĂ©aste, en utilisant de longues focales, centre la vision sur les personnages, rĂ©duisant le rĂ´le du dĂ©cor : il privilĂ©gie ainsi un Ă©lĂ©ment dans le contexte.
Le Bon, la Brute et le Truand (Il Buono, il Brutto, il Cattivo) de Sergio Leone, Italie, 1966.
      
Ces quelques images de Citizen Kane (1941) montrent d’abord comment Welles fait communiquer les diffĂ©rents plans en jouant de la P.D.C. et de la focale. Il met ainsi en interaction arrière plan et avant plan : c’est le destin de l’enfant, isolĂ© Ă  l’extĂ©rieur dans le cadre blanc de la fenĂŞtre, qui est scellĂ© par la signature Ă  l’intĂ©rieur, dans cet extrait d’un plan sĂ©quence. Dans le deuxième photogramme, notre regard accompagne celui de Kane au 1er plan, vu de dos en amorce ; le regard de Kane et les lignes de fuite convergent ainsi sur Bernstein au fond, au bout de la table.L’effet de perspective est accentuĂ© dans le 3ème photogramme : nous avons une forme de «montage parallèle» au sein de la mĂŞme image, très structurĂ©e en profondeur. Le 1er plan met en relief une information et guide le spectateur dans l’interprĂ©tation de la tentative de suicide. Pour information, le rĂ©sultat n’a Ă©tĂ© permis que par des jeux de lumière et un trucage via surimpression de la pellicule, avec plusieurs prises d’images par Welles.  La sĂ©rie des trois dernières images montre l’usage dans un plan sĂ©quence d’un cadre très travaillĂ© ; l’axe choisi permet de jouer avec le plafond Ă  l’arrière plan ; l’Ă©clairage est contrastĂ©, le jeu des regards est habile. Kane, au 1er plan de l’image, tourne le dos Ă  Leland au deuxième plan qui se rapproche et Bernstein s’aperçoit dans l’encadrement de la porte Ă  l’arrière plan, spectateur du conflit.
Dans la Splendeur des Amberson (1942), Welles en jouant de la P.D.C., dans la scène du bal, met plus le spectateur en position de dĂ©cider ce qui est important dans le plan (au sens cinĂ©matographique) ou ce qui mĂ©rite d’ĂŞtre regardĂ© ; plusieurs niveaux de profondeur, donc de lecture, premier plan, second plan, arrière plan de l’image, sont ainsi en interaction. Diverses actions se jouent en mĂŞme temps et interfèrent entre elles avec le rapprochement des deux jeunes gens ou celui des parents respectifs, dans les photogrammes 2 et 3… Le jeu des regards est important dans le fonctionnement des effets et amène des liens entre les plans de l’image, relayĂ© par l’interpellation de la voix (“Lucy”).
A. Hitchcock dans Rebecca (1940) utilise moins de P.D.C. lors de la dĂ©couverte de Manderley par son hĂ©roĂŻne : cela contribue Ă  donner une dimension quelque peu Ă©trange, voire gothique, Ă  la grande salle de la demeure et Ă  la situation de parade/ revue des domestiques ; de mĂŞme, cela permet de faire surgir dans les plans suivants un personnage que l’on n’avait pas aperçu avec l’inquiĂ©tante gouvernante, Mme Danvers. Les Ă©clairages et les regards, outre le dĂ©cor, ont ici un rĂ´le essentiel.

La surimpression a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour des effets spĂ©ciaux ou artistiques, et pas seulement pour des transitions. On superpose ainsi (au moins) deux images l’une Ă  l’autre avec une intention esthĂ©tique, psychologique ou symbolique comme Abel Gance le fait avec des images de l’ocĂ©an dĂ©chaĂ®nĂ© et des scènes de la RĂ©volution dans son NapolĂ©on, en 1926. Voir aussi Citizen Kane de Welles avec les surimpressions des unes de presse et des visages de Susan ou de son professeur de chant, Ă  la rubrique Langages et codes.

On observera que Gance superpose ici Ă  l’image de NapolĂ©on sur fond de mer en proie Ă  la tempĂŞte (Ă©vocation mĂ©taphorique de la violence dĂ©chaĂ®nĂ©e) des images de bataille. Le dernier photogramme aggrave la surcharge symbolique avec la figure impĂ©riale de l’aigle.

Dans le thriller Un crime dans la tĂŞte (The Mandchurian candidate, 1962), John Frankenheimer utilise la surimpression pour prĂ©senter un personnage en train de raconter et en mĂŞme temps montrer les images très subjectives du souvenir relatĂ©.
Miracle en Alabama : jeu de reflets
Dans Miracle en Alabama (The Miracle Worker, 1962), Arthur Penn utilise avec les reflets une forme de surimpression «naturelle» ; ainsi l’image d’HĂ©lène Keller, rĂ©duite et transformĂ©e, se lit sur la surface de la boule et celle d’Annie Sullivan sur la vitre qui souligne la frontière entre deux espaces. L’image de l’enfant rappelle, bien entendu, un motif de la peinture hollandaise ou flamande tout comme Orson Welles sans doute…  Le troisième photogramme est, Ă  proprement parler, une surimpression ; cette image de naturesubjective traduit une plongĂ©e dans la mĂ©moire d’Annie; celle-ci revoit une figure de son passĂ© qui la hante, celle de son frère abandonnĂ©. Dans les trois cas, le travail sur la lumière et les ombres est notable. Â« VanitĂ© avec une boule de cristal » de Vincent Laurensz van der Vinne (1629-1702).
L’Ă©clairage peut ĂŞtre ainsi l’objet d’une Ă©laboration savante, comme dans la peinture, avec leclair-obscur. On recherche des effets Ă  valeurs diverses en jouant sur la lumière et l’ombre, voire en travaillant l’effet de cadre, comme dans cette image extraite de la Nuit du chasseur.

Le fondu consiste techniquement Ă  l’origine Ă  ouvrir ou fermer progressivement l’iris de la camĂ©ra, en faisant apparaĂ®tre ou disparaĂ®tre l’image, progressivement. L’ouverture Ă  l’iris consiste Ă  ouvrir sur l’Ă©cran, gĂ©nĂ©ralement noir, une image en Ă©largissant un cache en forme de cercle, cf. infra pour IntolĂ©rance. La fermeture Ă  l’iris consiste Ă  noircir l’Ă©cran en rĂ©trĂ©cissant le cercle de l’image visible Ă  partir des bords ; voir un exemple d’usage symbolique de ce procĂ©dĂ© par Orson Welles.

Avec le fondu enchaĂ®nĂ©, on recherche un effet, en substituant progressivement une image Ă  une autre qui s’efface ; il a un rĂ´le syntaxique de transition par cette superposition. Les fondus sont utilisĂ©s comme effets pour marquer le temps, pour nous faire passer d’une sĂ©quence Ă  l’autre, ainsi qu’on le voit ci-dessus avec ces trois photogrammes de Gervaise de RenĂ© ClĂ©ment. Dans ce cas singulier, la transition est accompagnĂ©e par la voix off de Gervaise qui commente les diverses Ă©tapes de sa propre vie. Ces fondus enchaĂ®nĂ©s ont donc un rĂ´le de ponctuation, mais avec l’avènement de la vidĂ©o, les films, les vidĂ©o-clips comportent de plus en plus de volets : une image apparaĂ®t pour chasser ou balayer la prĂ©cĂ©dente.

Trois images d’IntolĂ©rance de Griffith : ouverture Ă  l’iris pour la sĂ©quence babylonienne.

Avec le fondu au noir ou au blanc, l’image s’assombrit ou s’Ă©claircit progressivement pour disparaĂ®tre complètement. Ce fondu marque souvent la fin d’une Ă©tape, d’une pĂ©riode. Cette sorte d’extinction puis brève suspension des images filmiques par obscurcissement ou Ă©claircissement est transitoire ; elle peut servir Ă  marquer un Ă©cart temporel entre deux sĂ©quences. Le fondu constitue ainsi un moyen efficace pour exprimer une ellipse narrative, qu’elle soit d’ordre temporel ou spatial. La fermeture au noir ou au blanc (fade out) est la disparition progressive de l’image de l’ensemble de l’Ă©cran. L’ouverture au noir ou au blanc (fade in) est le procĂ©dĂ© inverse : on part de l’Ă©cran noir ou blanc sur l’ensemble de la surface d’Ă©cran pour aboutir progressivement Ă  l’image.

Exemple de volets tirĂ© de Citizen Kane :

Exemple de transition chez Renoir, dans la Règle du Jeu, 1939 :

Autre exemple, avec effet d’iris, tirĂ© de La Nuit du chasseur de Ch. Laughton, 1955 :

On observera que cet exemple est intĂ©ressant pour poser la question du point de vue. Le ralenti / accĂ©lĂ©rĂ© : on peut faire varier le rythme de prĂ©sentation des images. On dĂ©compose, par exemple, avec un ralenti les Ă©tapes d’un Ă©vĂ©nement (mort d’un personnage, chute dans un western). Le ralenti peut avoir une valeur psychologique, suggĂ©rer une scène onirique ou donner une dimension magique… Voir Jean Cocteau, le Testament d’OrphĂ©e, 1960: quand le poète sort du laboratoire et s’en va croiser l’homme-cheval, sa dĂ©marche devient ainsi presque aĂ©rienne…

Sur le plan de la technique cinĂ©matographique, pour obtenir un ralenti, on filme les images Ă  une vitesse plus rapide qu’ Ă  la normale pour projeter ensuite Ă  la vitesse de 24 images/ seconde. Cela permet de dĂ©composer le mouvement et des effets esthĂ©tiques.

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